Le TAO TE KING de Lao Tseu (Traduction libre de droits)

Lao Tseu est un Sage chinois, auteur du Tao Te King, dont l'influence est majeure dans la culture Traditionnelle  Chinoise. Son nom véritable, qui signifie «maître vénérable», était Li Eul Pai Yang ou Lao Tan. Il vécu approximativement de l'an -570 à -490 avant JC.
On ne connaît sur la vie de ce sage que des légendes. Et pourtant son influence sur la pensée et la culture chinoises n'eut d'égale que celle de Confucius.
On dit que, originaire du pays de Chu, il fut archiviste à la cour royale, dispensa quelques enseignements au jeune Confucius, puis partit vers l'ouest, et disparut après avoir confié au gardien de la frontière son traité, le Tao-te king (Daode jing).
Ce " Livre de la Voie et de la Vertu " définit les fondements du taoïsme philosophique (Daojia), selon lequel l'opposition universelle et complémentaire du yin (principe féminin) et du yang (principe masculin) est régie par un principe suprême, le Tao.
Le taoïsme enseigne la doctrine du " non-agir ", qui ne désigne pas l'inertie, mais renvoie à l'idée d'une plénitude de l'activité intérieure, en union avec le Tao.
Le sage parfait est ainsi représenté au centre de la roue cosmique, il la meut par sa seule présence mais ne participe pas à son mouvement.
Le taoïsme religieux (Dojiao)a synthétisé divers courants mystiques et la pensée de Lao-Tseu.

Chapitre UN

La voie que l'on peut définir n'est pas le Tao, la Voie éternelle.
Le nom que l'on peut prononcer n'est pas le Nom éternel.
Ce qui ne porte pas de nom, le non-être, est l'origine du ciel et de la terre.
Ce qui porte un nom est la mère de tout ce que nous percevons, choses et êtres.
Ainsi à celui qui est sans passion se révèle l'inconnaissable, le mystère sans nom.
Celui qui est habité par le feu de la passion a une vision bornée.
Désir et non désir, ces deux états procèdent d'une même origine.
Seuls leurs noms diffèrent. Ils sont l'Obscurité et le Mystère.
Mais en vérité c'est au plus profond de cette obscurité que se trouve la porte.
La porte de l'absolu du merveilleux. Le Tao.

Chapitre DEUX

 
Le monde discerne la beauté, et, par là le laid se révèle.
Le monde reconnaît le bien et, par là le mal se révèle.
Car l'être et le non-être s'engendrent sans fin.
Le difficile et le facile s'accomplissent l'un par l'autre.
Le long et le court se complètent.
Le haut et le bas reposent l'un sur l'autre.
Le son et le silence créent l'harmonie.
L'avant et l'après se suivent.
Le tout et le rien ont le même visage.
C'est pourquoi le Sage s'abstient de toute action.
Impassible, il enseigne par son silence.
Les hommes, autour de lui, agissent.
Il ne leur refuse pas son aide.
Il crée sans s'approprier et œuvre sans rien attendre.
Il ne s'attache pas à ses œuvres.
Et, par là, il les rend éternelles.

Chapitre TROIS

Il ne faut pas exalter les hommes de mérite afin de ne pas éveiller de ressentiments.
Il ne faut ni priser les biens rares, car ce serait inciter au vol, ni exhiber les choses enviables,
Pour ne pas troubler les cœurs.
Aussi, le Sage, dans son gouvernement, fait le vide dans le cœur de ses sujets.
Il détruit en eux désir et passion qui peuvent les troubler, mais veille à bien les nourrir.
Il doit affaiblir leur volonté tout en fortifiant leur corps.
Il doit obtenir que le peuple soit ignorant mais satisfait et que la classe cultivée n'ose agir.
S'il pratique le non-agir, l'harmonie est préservée.
L'ordre est maintenu.
L'empire gardé.
 

Chapitre QUATRE

 
Le Tao est le vide, mais le vide est inépuisable.
C'est un abîme vertigineux.
Insondable.
De lui sont sortis tous ceux qui vivent.
Éternellement, il émousse ce qui est aigu, dénoue le fil des existences, fait jaillir la lumière.
Du rien, crée toute chose.
Sa pureté est indicible.
Il n'a pas de commencement.
Il est.
Nul ne l'a engendré.
Il était déjà là quand naquit le maître du ciel.
 

Chapitre CINQ

Le ciel et la terre sont indifférents aux passions humaines.
Pour eux, les vivants ne sont que chiens de paille.
Éphémères.
Le Sage n'a pas d'affection.
Pour lui aussi, les hommes ne sont que chiens de paille.
Entre le ciel et la terre, l'espace est comme un soufflet de forge.
Il est vide mais pas épuisé.
Soit qu'il s'enfle, soit qu'il s'abaisse, il est toujours prêt à servir, toujours inépuisable.
L'homme qui veut saisir l'espace n'étreint que le vide.
Mieux vaut se fondre dans ce vide, dans ce vide immense, dans ce vide merveilleux.
C'est le vide sublime, c'est le Tao.
 

Chapitre SIX

L'esprit de l'Obscurité est immémorial, éternel.
C'est le principe féminin des origines.
Les racines du ciel et de la terre s'élancent de sa porte mystérieuse.
Toujours renouvelé, il se répand dans l'univers.
Indéfiniment.
Il ne s'épuise jamais.
 
 

Chapitre SEPT

Le ciel et la terre sont éternels.
Ils n'ont pas de vie propre.
Voilà pourquoi ils sont éternels.
Ainsi, la première place revient au Sage qui a su s'effacer.
En oubliant sa personne, il s'impose au monde.
Sans désirs pour lui-même, ce qu'il entreprend est parfait.
Il s'était assis à la dernière place.
C'est pour cela qu'il se retrouve à la première.
 
 

Chapitre HUIT

La grande perfection est comme l'eau.
Comme elle, elle dispense ses bienfaits aux dix mille êtres et ignore les luttes.
Comme elle, elle se détourne des obstacles et les évite, descend vers la vallée et demeure là où les hommes ne peuvent pas habiter.
C'est pourquoi elle est proche du Tao.
Dans tout et pour tout, la perfection commande l'humilité.
Elle demande au cœur d'être profond comme un puits.
Dans les rapports avec les autres elle réclame des trésors de patience.
De la parole, elle attend la vérité.
Quand il faut gouverner, elle impose la loyauté et l'ordre.
Quand il faut agir elle exige la compétence.
Elle s'exerce au moment opportun et ne lutte jamais.
Ainsi, elle ne peut s'égarer.
 
 

Chapitre NEUF

Peut-on conserver plein ce qui veut déborder ?
Le tranchant aiguisé ne peut que s'émousser, et aucune salle ne peut être gardée si elle contient or et joyaux.
Avoir de l'orgueil pour sa puissance et sa richesse attire l'infortune.
Si tu fais de grandes œuvres, termine-les puis efface-toi.
Telle est la loi du ciel.
 
 

Chapitre DIX

Accorder le corps et l'âme afin qu'ils voguent à l'unisson et ne se séparent pas.
Concentrer sa force vitale et la rendre docile comme celle du nouveau-né.
Au-delà du réel, scruter le miroir poli par le regard de l'âme et se laisser aspirer par la lumineuse obscurité.
Ménager le peuple sans intervenir.
Rester serein, comme la femme, lorsque s'ouvrent et se referment les portes de l'existence.
Garder son ignorance et voir les choses dans leur lumière.
Donner la vie et la protéger.
Produire sans s'approprier.
Agir sans rien attendre.
Diriger sans dominer.
Tel est le chemin de la mystérieuse perfection.
 
 

Chapitre ONZE

Les rayons de la roue convergent au moyeu.
Ils convergent vers le vide.
Et c'est grâce à lui que le char avance.
Un vase est fait d'argile mais c'est son vide qui le rend propre à sa tâche.
Une demeure est faite de murs percés de portes et de fenêtres, mais c'est leur vide qui la rend habitable.
Ainsi, l'homme construit des objets, mais c'est le vide qui leur donne sens.
C'est ce qui manque qui donne la raison d'être.
 
 

Chapitre DOUZE

Les cinq couleurs aveuglent l'homme.
Les cinq notes assourdissent ses oreilles.
Les cinq saveurs rendent sa bouche insensible.
Les courses et la chasse égarent son esprit.
Les richesses l'empêchent de progresser.
Ainsi le Sage tourne son regard en lui-même et, loin du tumulte et des passions, exerce librement son choix.
 
 

Chapitre TREIZE

Supporte la disgrâce d'un cour égal.
Accepte l'adversité comme inséparable de la condition humaine.
Que faut-il comprendre par Supporte la disgrâce d'un cour égal ?
La disgrâce n'est pas pire que la faveur.
Toutes deux engendrent la crainte.
Ne soit donc affecté ni par la perte ni par le gain.
Que faut-il comprendre par L'adversité est inséparable de la condition humaine ?
L'homme a un corps, c'est pourquoi le malheur a prise sur lui.
S'il n'en possédait point, quel événement pourrait le frapper ?
C'est pourquoi, à celui qui se soucie des autres autant que de lui-même on peut confier le monde.
Seul celui qui aime les autres autant que lui-même est digne de les gouverner.
 
 

Chapitre QUATORZE

Mes yeux s'écarquillent, et je ne le vois pas : il s'appelle l'Invisible.
Mon ouïe est en alerte, et je ne l'entends pas : il s'appelle l'Inaudible.
Mes mains se tendent et ne rencontrent rien : il s'appelle l'Impalpable.
Trois aspects indéfinis qui font l'unité.
En haut il n'est pas lumineux, en bas il n'est pas obscur.
Son éternité défie même le temps.
Il n'a pas de nom.
Il vient d'un monde où rien de sensible n'existe.
Car la lumière appelle l'obscurité et l'obscurité existe par la lumière.
Le Tao est une forme sans forme, une image sans image.
Il est l'Indéterminé.
Si l'on marche devant lui, on ne voit pas son principe.
Si l'on va derrière lui, il paraît sans fin.
En suivant l'antique voie, on maîtrise le présent.
Car le Tao est le fil qui guide l'homme à travers le temps.
 
 

Chapitre QUINZE

Les grands sages de l'Antiquité étaient si éloignés des autres hommes par l'étendue de leur connaissance et la profondeur de leur pensée qu'on ne pouvait espérer les comprendre.
Peut-on les décrire ?
Ils étaient attentifs comme l'homme qui traverse l'eau tumultueuse et glacée d'un torrent.
Prudents comme le voyageur averti d'un danger.
Réservés comme le visiteur qui reçoit l'hospitalité.
Insaisissables comme la glace qui font.
Simples comme le bois brut que l'on vient de débiter.
Ils étaient emplis d'espace infini comme la vallée.
Insondables comme une eau dormante.
Celui qui suit le Tao peut, sans trouble intérieur, attendre que l'eau pure se décharge des limons.
Immobile et calme, il verra se présenter l'heure d'agir.
Il ne désire que l'infini du vide.
C'est pourquoi les hommes peuvent par moment le mépriser, le croyant loin de la vérité, car ils ignorent sa sagesse.
 
 

Chapitre SEIZE

Ayant atteint le vide parfait, je me laisse porter par l'aile puissante du silence.
Je contemple l'agitation des hommes.
Retourner à son origine... Retourner à son origine, c'est retrouver le repos.
Le repos, c'est le retour dans sa demeure véritable.
C'est renouer avec son destin.
Ce retour est la loi éternelle.
Connaître la loi éternelle, c'est être éclairé.
L'ignorer, c'est la confusion et, par là, c'est le malheur.
Celui qui connaît la loi possède le savoir.
Il se montre, alors, impartial.
Impartial, il agit royalement.
Royal, il atteint le divin.
Le divin atteint, il est uni au Tao et se trouve désormais au-delà de tout péril.
Rien ne peut le surprendre.
Rien ne peut l'émouvoir.
Rien ne peut le toucher.
Pas même la mort.
 
 

Chapitre DIX-SEPT

Des grands souverains d'antan le peuple ne connaissait que le nom.
Ce furent des rois aimés et loués.
Puis en vinrent d'autres qu'il craignit.
Puis d'autres qu'il méprisa.
A celui qui n'a pas confiance le peuple ne peut faire confiance.
L'énergie du grand souverain ne se dissipe pas en paroles.
Elle suscite toute vocation et toute action.
Alors le peuple dit : C'est nous qui avons fait tout cela.
Il dit aussi : Nous sommes libres.
 
 

Chapitre DIX-HUIT

Autrefois le Tao régnait.
L'homme suivait l'ordre de la nature.
Puis il advint une époque où le Tao fut oublié et ce fut alors l'ère de la justice des hommes.
Puis ce fut l'époque de l'intelligence et de l'habileté.
Et les ambitions ne connurent plus de bornes.
La paix quitta les familles.
Mais c'est dans l'adversité que se révèlent les fils respectueux.
L'État sombra dans le désordre.
Mais c'est pendant l'anarchie que surgissent les serviteurs loyaux.
Ainsi le Tao est toujours près de l'homme pour le secourir.
 
 

Chapitre DIX-NEUF

Renoncez au savoir, ne vous mêlez plus de morale.
Le peuple s'en trouvera cent fois mieux.
Abandonnez toute justice humaine et chassez ses lois.
Le peuple redécouvrira les vertus familiales.
Renoncez au luxe, bannissez le profit.
Il n'y aura plus de voleurs ni de bandits.
Renoncez à tout cela et croyez en l'inutilité de l'apparat.
Soyez simples, demeurez fidèles à vous-mêmes.
Rejetez de vos cours l'égoïsme et les désirs.
La voie s'ouvrira devant vous.
 
 

Chapitre VINGT

Renoncez à l'étude et vous connaîtrez la paix.
Entre oui et non la frontière est bien mince.
Le bien et le mal sont entremêlés.
La peur qu'éprouve le commun des mortels ne doit pas effleurer votre cour.
Les hommes courent aux festins de la vie.
Ils cueillent les fleurs du printemps, du printemps qui annonce la vie.
Mais moi seul reste calme, étranger au tumulte, comme le nouveau-né qui n'a pas encore souri.
Je suis seul.
Immobile.
Je parais démuni de tout, je parais ignorant, je parais abandonné, sans but, sans logis.
La multitude s'affaire à accroître ses biens.
Moi seul ne possède rien.
L'homme de la foule a des idées sur tout.
Moi seul hésite.
L'homme de la foule est actif, efficace.
Seul, je reste immobile.
Je regarde sans voir.
Mes pensées, égarées, m'échappent pour danser, dans les nuages et le vent, parmi les vagues de l'océan.
La multitude des hommes s'affaire, réalise, construit.
Je demeure absent, délaissé, inutile.
Et pourtant, mes haillons cachent la plus grande des richesses.
Seul, je diffère des autres.
Je suis l'enfant de la Mère universelle.
L'enfant du Tao.
 
 

Chapitre VINGT ET UN

La grande Vertu vient du Tao.
Le Tao est vague, imperceptible, insaisissable !
Oh, qu'il est vague, imperceptible, insaisissable !
Et pourtant en son sein est la vérité.
Oh, qu'il est insaisissable, imperceptible !
Et pourtant en son sein est la forme des choses.
Il est si sombre, si ténébreux !
Et pourtant en lui est l'essence vraie de l'être.
Cette essence est la vérité rayonnante et la vérité cachée.
Depuis l'aube des âges son nom nous a été transmis et de lui naissent tous les êtres.
Comment peut-on connaître les voies de la création ?
Par lui.
Par le Tao.
 
 

Chapitre VINGT-DEUX

Ce qui est incomplet s'accomplira.
Ce qui est courbé deviendra droit.
Ce qui est vide sera rempli.
Ce qui est usé deviendra neuf.
N'avoir rien et se sentir comblé.
Être riche, et garder sa simplicité.
Ainsi est le sage.
Il embrasse l'Unité.
Il vit caché et pourtant tous le voient.
Il ne s'affirme pas et pourtant il s'impose.
Il ne se vante pas, et son mérite éclate.
Absent à lui-même, sa présence s'accroît.
Étant sans ambition, il ne heurte personne.
Il ne lutte point.
Ainsi nul ne peut l'égaler.
Ce qui est incomplet sera achevé.
Cette sentence ancienne est pleine de vérité car seul celui qui plie reste intègre.
Reste humble et garde l'esprit ouvert : tu recevras le monde.
 
 

Chapitre VINGT-TROIS

Préserve-toi par le silence.
L'ouragan ne hurle pas toute une matinée.
L'orage ne dure pas tout un jour.
Qui produit l'ouragan et la pluie ?
Ce sont le ciel et la terre.
Si ciel et terre ne produisent rien d'éternel, comment l'homme le pourrait-il ?
Celui qui suit la loi s'accorde au Tao.
Sa volonté et ses principes sont ceux du Tao.
Avec lui il agit et avec lui il s'abstient.
Le Sage épris d'absolu y trouve la plénitude.
En suivant la voie on trouve la voie.
En se conformant à la vertu on devient la vertu.
Mais si on pense au crime on recueille la honte du crime.
C'est pourquoi l'action comme l'inaction traduisent l'invisible harmonie
Ou la foi est totale, ou elle n'est pas.
 
 

Chapitre VINGT-QUATRE

Qui marche sur la pointe des pieds perd l'équilibre et tombe à terre.
Qui avance à grand pas s'essouffle vite et est dépassé.
Celui qui se met en vue reste dans l'ombre et personne ne voit son mérite.
L'homme imbu de lui-même perd l'estime d'autrui.
Qui se glorifie n'est pas considéré.
Qui se gonfle d'orgueil ne peut pas progresser.
Qui vit ainsi est malade de l'âme.
Ces laideurs ne salissent pas celui qui suit la voie.
 
 

Chapitre VINGT-CINQ

Une puissance indéfinissable et confuse existait depuis l'éternité.
Elle était avant la naissance du ciel et de la terre.
Perfection indéterminée.
Énergie éternelle.
Mouvement sans fin.
Mouvement immuable.
Force unique.
Omniprésente.
Impérissable.
Sans nom mais connue de tous.
Mère et principe créateur de l'univers.
Nul ne connaît son nom.
On l'appelle le Tao.
Il échappe à toute définition.
Invisible, il est immense.
Immobile, il se propage à l'infini.
En fuyant, il revient.
Ainsi, immense est le Tao.
Immenses le ciel et la terre.
Immense l'être.
Quatre immensités dans l'univers, dont l'être.
L'homme épouse le rythme de la terre, la terre s'accorde avec le ciel,
le ciel s'harmonise avec le Tao.
Le Tao est la loi, la voie de la nature.
Et la voie demeure, éternelle.
 
 

Chapitre VINGT-SIX

Le lourd est la racine du léger.
L'immobilité est mère du mouvement.
C'est pourquoi le Sage se déplace avec un seul bagage : le Tao.
Partout où il va, il reste détaché et serein.
Spectateur des merveilles.
Spectateur de la vie.
Ainsi le Maître des milles choses doit préférer son peuple à lui-même.
Car agir avec légèreté, c'est perdre sa racine, s'agiter, c'est perdre la maîtrise de soi.
 
 

Chapitre VINGT-SEPT

Celui qui sait marcher ne laisse pas de traces.
Celui qui sait parler garde ses paroles.
Celui qui sait compter n'a pas de boulier.
Celui qui sait garder n'a que faire de verrous et de clefs.
Celui qui sait lier n'a pas besoin de liens et nul ne peut défaire les noeuds qu'il a serrés.
Ainsi le Sage se dédie au secours des hommes.
Il n'en rejette aucun.
Il veille à préserver les êtres, sans en excepter aucun.
Il est dans la lumière.
Tout plein de soleil.
Le Sage est le maître de celui qui ne l'est pas et ce dernier est la matière sur laquelle il agit.
Ainsi, ils ont besoin l'un de l'autre.
Voilà une vérité.
Une vérité subtile.
Car tout ce qui est essentiel pour l'homme, tout ce qui lui est indispensable, reste une énigme.
C'est l'inconnu pour lequel on lutte et on travaille.
C'est l'inconnu qui nous donne la force de vivre, la force d'espérer, la force de croire.
Car ce que l'homme veut savoir lui reste inconnu.
A jamais.
 
 

Chapitre VINGT-HUIT

Celui qui est conscient de sa force mais garde la douceur de la femme, est le creuset de l'univers.
Étant le creuset de l'univers, il fait un avec le Tao et redevient pur comme l'enfant.
Celui qui connaît l'étendue de son savoir et garde la simplicité dans son coeur, est le modèle du monde.
Étant le modèle du monde, il rejoint le Tao et son espace infini.
Celui qui connaît la gloire mais garde son humilité possède la vertu du monde.
Étant la vertu du monde, il atteint la plénitude du Tao et revient à l'unité originelle, cette unité d'où provient toute chose.
Le Sage participe alors à l'harmonie universelle.
Grain de lumière, il se répand dans l'univers et revient à la grande lumière.
Et il retrouve l'infini.
 
 

Chapitre VINGT-NEUF

Celui qui veut posséder le monde et lui imprimer sa marque ne peut y réussir.
Je le sais.
Le monde est une entité sacrée.
La main de l'homme ne peut le modeler.
En voulant le changer on le détruit.
Quand on croit le tenir on le perd.
C'est ainsi que l'homme s'éloigne du chemin de la vertu.
Car parmi les hommes les uns marchent en avant et les autres s'attardent.
Les uns ont un souffle léger, les autres une haleine puissante.
Certains sont forts, d'autres faibles.
Les uns renversent ce que d'autres ont bâti.
Aussi le Sage évite l'excès, l'incohérence et toute extrême.
Il vit dans la vérité.
 
 

Chapitre TRENTE

Un souverain instruit dans la voie du Tao renonce à conquérir le monde par la force.
Car il sait qu'à l'attaque succède la riposte.
Là où sont passées les armées, ne restent que des ruines et ne poussent que des ronces.
Les grandes guerres amènent des années de disette.
C'est pourquoi l'homme éclairé se montre résolu sans tomber dans l'excès.
Il parvient à ses fins mais n'en tire aucune gloire.
Il mène à bien ses entreprises sans offenser ni détruire.
Il agit sans orgueil et ne combat que par nécessité.
Il ne trouble pas la grande harmonie.
La force use celui qui l'utilise, car elle va à l'encontre du Tao.
Et ce qui va contre le Tao va à sa perte.
 
 

Chapitre TRENTE ET UN

Les armes les plus belles ne sont que des engins de mort.
L'humanité les a en horreur.
Celui qui suit la voie du Tao en détourne ses regards.
L'homme de bien se place à gauche du maître de maison.
L'homme de guerre s'installe à sa droite.
Les armes n'apportent que la mort.
Le bon souverain en détourne le regard.
Il ne les prend que s'il n'a pas d'autre choix.
Pour lui, les trésors suprêmes sont le calme et la paix.
La victoire ne le remplit pas de joie, car se réjouir serait se glorifier d'avoir ordonné la mort.
Celui qui se glorifie de la mort d'autres hommes ruine sa destinée et ne pourra pas gouverner.
Dans les jours heureux, la place d'honneur se trouve à gauche.
Dans les jours de malheur, elle est à droite.
L'aide de camp se place à gauche, le chef de guerre s'installe à droite.
Ainsi la guerre se conduit comme des funérailles.
Le chef triomphant préside au festin de la victoire comme s'il assistait à l'office funèbre de ceux qu'il a fait tuer.
Car ayant fait tuer beaucoup d'hommes, Il doit maintenant en porter le deuil.
 
 

Chapitre TRENTE-DEUX

Le Tao ne peut être défini.
Étant insaisissable, il échappe à toute emprise.
Si les souverains se conformaient au Tao, ils verraient les dix mille êtres se remettre entre leurs mains.
L'harmonie du ciel et de la terre emplirait l'univers et une douce rosée descendrait sur les hommes.
La paix universelle ferait la joie de tous les peuples.
Et puis les hommes furent séparés par contrées et par nations, et distingués chacun par un nom.
Et avec le nom surgit la division.
Par le Tao on connaît les limites du danger.
Car le Tao, dans l'univers, est comme le fleuve, dont le flot, depuis toujours, va rejoindre la mer.
 
 

Chapitre TRENTE-TROIS

Celui qui connaît les hommes acquiert la sagesse.
Celui qui se connaît lui-même possède la lumière.
Celui qui conduit les hommes est fort.
Mais celui qui se maîtrise lui-même détient la vraie puissance.
Celui qui se contente de ce qu'il a est le vrai riche.
Être sans désir, c'est posséder le monde.
C'est suivre la voie.
Si celui qui persévère fait preuve de volonté, celui qui demeure dans l'ordre des choses est le
Sage absolu.
Celui qui meurt mais reste dans le souvenir des hommes a touché à l'éternité.
 
 

Chapitre TRENTE-QUATRE

Le Tao se répand comme un flot.
Sa puissance est sans limite.
Les dix mille êtres naissent et vivent de lui sans qu'il en soit l'auteur.
Il poursuit son œuvre éternelle sans vouloir rien imposer.
Il commande aux hommes sans s'en déclarer le maître.
Il est sans désir et dénué d'ambition.
On peut le dire petit.
Quelle erreur : il est immense, incommensurable.
Les dix mille êtres retournent à lui sans qu'il ne demande rien.
On peut alors le dire immense, et nul ne peut le cerner.
Le sage ignore sa grandeur, ainsi elle se réalise d'elle-même.
A l'infini.
 
 

Chapitre TRENTE-CINQ

Celui qui suit le Tao peut parcourir le monde en toute quiétude.
Il trouvera partout paix, équilibre, sécurité.
Il s'avance, impassible, dans la sérénité.
Musique et bonne table attirent le passant.
Mais la bouche qui parle du Tao ne le retient pas.
Car ce qu'elle dit est sans saveur : on le regarde et on ne le voit pas, on l'écoute, et on ne l'entend pas.
Pourtant, celui qui puise dans le Tao a puisé l'inépuisable.
 
 

Chapitre TRENTE-SIX

On ne peut réduire que ce qui est déployé.
On ne peut affaiblir que ce qui est puissant.
On ne peut abattre que ce qui est élevé.
Ainsi pour recevoir, il faut avoir donné.
C'est la loi de la nature.
La douceur et la faiblesse triomphent de la dureté et de la force.
Que le poisson qui brille demeure au sein des profondeurs !
Les secrets du royaume doivent être ainsi maintenus cachés au regard des hommes.
 
 

Chapitre TRENTE-SEPT

Le Tao n'agit pas par lui-même.
Et pourtant il n'est rien qu'il n'accomplisse.
Si seulement les rois et les princes pouvaient s'y tenir, les dix mille êtres les suivraient dans cette voie.
Dans la voie du bonheur, dans la voie de la perfection.
Et si malgré tout ils voulaient encore agir, la simplicité suprême du
Sans-Nom les assagirait.
Ils deviendraient alors sans désir, en paix, et, partant, l'univers se transformerait de lui-même.
 
 

Chapitre TRENTE-HUIT

L'homme de haute vertu est au-dessus de la vertu, c'est pourquoi il est vertueux.
L'homme de moindre vertu, se dit vertueux c'est pourquoi il ne l'est pas.
L'homme de haute vertu la pratique sans y penser.
L'homme de moindre vertu l'utilise pour atteindre un but.
Et pourtant il ne l'atteint pas.
Le véritable homme de bien agit sans avoir de raisons de le faire.
L'homme de justice agit car il a des raisons de le faire.
L'homme qui se conforme au rites agit et veut les imposer par la force.
Ainsi, si l'on oublie le Tao, il reste la vertu.
Si l'on se détourne de la vertu, il reste la bonté.
Lorsque la bonté est perdue, il reste la justice.
Lorsqu'on abandonne la justice, on recourt aux rites.
Or, Les rites ne sont que l'apparence de la vérité et de la sincérité.
Ils sont aussi l'amorce de la confusion.
La connaissance et l'intelligence ne sont pour le Tao que des fleurs sans parfum.
Elles sont souvent la source de l'erreur.
C'est pourquoi le Sage puise au tréfonds des choses sans s'arrêter aux apparences.
Il contemple le fruit plutôt que la fleur. Il ignore l'une et cueille l'autre.
 
 

Chapitre TRENTE-NEUF

Voici ce qui, depuis les origines, a atteint l'unité : Le ciel parce qu'il est pur.
La terre parce qu'elle est stable.
Les esprits parce qu'ils sont transcendants.
Les vallées parce qu'elles sont riches en eau.
L'humanité parce qu'elle se reproduit.
Les souverains et les gouvernants parce qu'ils donnent l'exemple.
C'est l'unité qui les rend parfaits.
Si le ciel n'était plus pur, certainement il s'effondrerait.
Si la terre n'était plus stable, elle s'écroulerait.
Si les esprits n'étaient plus transcendants, ils s'évanouiraient.
Si les vallées n'étaient plus humides, elles deviendraient des déserts.
Si les dix mille êtres cessaient de se reproduire, ils disparaîtraient.
Si les souverains et les gouvernants renonçaient au pouvoir, leurs pays tomberaient dans le chaos.
La noblesse repose sur l'humilité.
Ce qui est grand prend appui sur ce qui est infime.
Ainsi les souverains et les gouvernants se nomment-ils eux-mêmes orphelins, hommes sans valeur et de peu de mérite.
Ils montrent par là leur compréhension de l'ordre profond des choses.
L'honneur suprême est en dehors de l'honneur.
Car le Sage ne cherche ni a briller comme le jade, ni a être rejeté comme un caillou.
Il vit au-dessus de l'estime et du mépris.
 
 

Chapitre QUARANTE

L'immobilité est le mouvement du Tao.
Dans sa faiblesse réside sa puissance.
Tous les êtres de ce monde sont nés du visible.
Le visible procède de l'invisible.
Car tout est et n'est rien.